Assassinats de Stanislav Markelov et Anastasia Baburova : Réaction de Perrine Poupin et Arthur Clech (étudiant en M2 de russe à Rennes 2)
Stanislav Markelov et Nastia Baburova ont été tués lundi 19 janvier à Moscou. Ces meurtres nous ont bouleversés. Mais à cette douleur, nous pensons qu'il n'y a pas de remède dans le silence. On en a entendu trop sur les Russes démesurés et incapables de refuser collectivement la violence. Nous pensons qu'il est temps de s'organiser, qu'aucune situation n'est irrémédiable. Ici à Moscou, et en France, nous voulons agir car nous ne pouvons simplement pas passer outre ces meurtres. Nous avons ici choisi de traduire un article paru le 20 janvier 2009 sur le site de dvizh.org, site russe qui propose des analyses sur les mouvements sociaux en Russie contemporaine. À la suite de cet article, nous joignons une interview que nous avons recueillie le même jour auprès d'Alexandre Bikbov, sociologue.
À très bientôt !
Perrine Poupin et Arthur Clech
(Etudiant en M2 de russe à Rennes 2)
On a tué nos amis(texte publié sur dvizh.org)
Stanislav Markelov a été assassiné.
Quelques heures auparavant, avec la résolution et l'énergie qui le caractérisaient, il exigeait une peine juste à l'encontre du colonel Boudanov, qui a violé et assassiné, en Tchétchénie, une jeune fille, citoyenne de la Fédération de Russie.[1]
Peu de temps après, à quelques centaines de pas, son corps, fauché par la mort, refroidissait sur l'asphalte en plein centre de Moscou.
Sur ce qui s'est passé, diverses explications ont pu être évoquées, mais rien ne saurait justifier ce meurtre. Le meurtre n'a pas seulement ôté la vie d'un expert brillant, d'un organisateur ambitieux et d'un interlocuteur plein d'esprit. En la personne de Stanislav Markelov, nous perdons un intellectuel engagé dans l'espace public et un «militant social» agissant sur le terrain de la jurisprudence.
La pertinence et le poids de ses paroles jouaient un rôle double : elles servaient d'une part à atteindre des résultats «pratiques», et d'autre part, revêtait des fins théorique, visant le «savoir». Stanislav était l'un des rares, sinon l'un des seuls avocats en Russie à s'être engagés dans des affaires «lourdes» mettant en cause la responsabilité de l'Etat russe, et il était sorti vainqueur de ces procès. Avocat, il a toujours travaillé pour la défence de la partie civile. Stanislav a remporté nombre de combats sociaux et était susceptible d'en remporter davantage encore. Un autre avocat et intellectuel célèbre, Robert Badinter a réussi a obtenir l'abolition de la peine de mort à 53 ans. Stanislav en avait 34. Cet assassinat nous a privé pour toutes les années à venir de son activité sociale, juridique, et de tout ce qu'il aurait pu entreprendre. Ces années nous font défaut. On ne peut plus se dire que ce n'est plus qu'une question de temps. Car combien d'années faut-il pour que dans le monde de la jurisprudence russe apparaissent à nouveau des personnes, hommes de terrain et intellectuels, capables de vaincre avec tant d'adresse le système de l'intérieur, en le rendant moins dur?
Par toute son activité, Stanislav nous a démontré que nous pouvions, sans peur, diriger nos vies comme on l'entendait. Quelqu’un s’est permis d’ordonner sa mort. Une jeune militante et journaliste, qui marchait aux côtés de Stanislav sur la Prechistenka, a essayé de s’opposer à l’assassin. Elle a été blessée du même pistolet et est morte ensuite à l’hôpital des suites de ses blessures. Ces derniers mois, des crimes « en chaîne » à l'encontre de la justice en Russie ne cessent d’être commis. Le meurtre de Stanislav Markelov et d’Anastasia Baburova vient compléter d’un chaînon de plus la longue chaîne de ces crimes. Comment briser cette chaîne ? Comment agir, comment échapper aux mains des assassins à gages, aux mandats d'arrêts, et respirer librement?
Alexandre Bikbov, sociologue
(Traduit du russe par Arthur Clech)
Stanislav Markelov est intervenu en tant qu’avocat dans les affaires du colonel Budanov, et celles de « Nord-Ost », des attaques contre des antifascistes et des immigrés, des passages à tabac par la police d’habitants de la ville de Blagoveschenska, du meurtre de journalistes, des premières affaires d’accusation de terrorisme, il a défendu également Anna Politkovskaïa et a participé à de nombreux procès. Il a travaillé longtemps en Tchétchénie et dans d’autres endroits sensibles de Russie. Il a créé une organisation « l’Institut de la préeminence de la loi», qui met en oeuvre une aide juridique pour les affaires sociales significatives, et se donne pour but de discuter publiquement des questions sociales et des questions de droits, de l’activité des journalistes, des organismes de protection des droits des avocats, des militants, des propriétaires de logements, des salariés. Il a participé à toute une série d’initiatives intellectuelles et sociales, comprenant des forums sociaux russes et internationaux. Il a donné des consultations, à diverses personnes, diverses organisations sur des questions comme la liberté de rassemblement, la sécurité des militants des mouvements sociaux, des syndicats, des organisations non-gouvernementales, de groupes d’initiatives.
Anastasia Baburova était une militante anarchiste et écologiste elle a participé à de nombreuses actions d’antifascistes, écologistes, d'actions contre l'arbitraire de la police. Elle venait d'entrer à Mouvement Autonome. Elle s'est aussi rendu par exemple au forum social européen de Malmö (2008). Elle a collaboré à Novoïa Gazeta en donnant un éclairage sur les mouvements de jeunes informels, les actions de rue protestataires, les audiences judiciaires et la montée des mouvements fascistes en Russie.
[1] Elle était de nationalité tchétchène. Note du traducteur.